Anthropologie chrétienne

ANTHROPOLOGIE CHRETIENNE

( Les chemins de l’homme )


Monseigneur Jean


SOMMAIRE


           Introduction au mot “noùs”


I          L'anthropologie chrétienne


            Les difficultés à surmonter

            Approche par la Révélation


II         Expérimentation du “noùs”


            Les trois volontés de l'homme

            Le Christ et “corps-âme-esprit”

            Vers le “noùs” en nous


III       Les structures de l'homme dans l'anthropologie chrétienne


            Le déséquilibre dans le monde

            La dynamique esprit, âme, corps

            La passion


IV       La conquête de l'Esprit


            Recherche de l'esprit par le corps

            Conquête de l'âme


V         Les aptitudes du “noùs”


            La connaissance et la contemplation du “noùs”

            Le “noùs” et la psyché

            La conscience et les fruits de l'esprit

            Au coeur des troubles de l'âme


VI       L'être humain et le monde angélique


            De l'inquiétude vers la paix

            L'esprit-source


VII      Silence et liberté


            Silence intérieur et agitation extérieure

            Bienheureux les coeurs purs

            Le rythme vrai



Introduction au mot “noùs”


Les mots ont une carrière très capricieuse dans l'histoire de l'humanité. Très peu de mots gardent leur pedigree réel. Ils descendent, remontent ; un même mot peut signifier différentes choses. Il est instable.


Le mot noùs souligne la différence entre l'âme et l'esprit. Saint Jean Damascène dit : “La prière est l'élévation, la montée du noùs vers Dieu.” Vous voyez ici que le noùs englobe une partie de l'être humain qui est intelligence, mais plus qu'intelligence. Elle est émotion aussi. L'être humain qui est dirigé vers Dieu, comme l'est notre tête vers le ciel, comme le sont nos pieds vers la terre. Noùs est donc la partie de l'être humain qui est tournée vers Dieu.


Le mot noùs est souvent employé dans l'Antiquité. On le trouve chez Platon, Aristophane, Aristote... Son emploi est assez varié. Il indique : l'esprit, l'intelligence, l'âme, le sens, la raison, la prudence, la sagesse, la pensée, l'avis ou la signification.


Le verbe “noéo” , d'où vient le mot noétique, signifie : penser, concevoir, comprendre, entendre, voir, signifier. Il y a aussi noema, la pensée. Noetos est un terme souvent évoqué, notamment par Teilhard de Chardin. On parle du monde noétique. Nous disons que les anges appartiennent au monde noétique, ou monde spirituel. Noetos, c'est l'intellect, l'intelligence... Il y a enfin nomiso : penser, croire, juger, estimer.


Le mot noùs a donc différentes significations. Et, dans ses racines, il n'y a pas seulement l'intelligence, la pensée, mais souvent aussi la croyance, le jugement, la signification, la prudence.


On trouve également ces différents sens du noùs dans la littérature grecque. La littérature patristique n'emploie pas seulement le mot noùs, mais elle l'utilise souvent pour désigner cette partie de l'être humain qui est tourné vers Dieu, cet élément qui n'est pas le monde psychosomatique mais qui est au-delà.


Jusqu'au VIIe siècle, pour désigner le noùs, le latin employait tantôt le terme mens, tantôt le terme intellectus. Mais celui-ci était aussi utilisé pour traduire le logos. Le français n'a pas de mot correspondant au noùs.


Cette approche du mot noùs nous fait entrevoir la confusion que subit la terminologie à travers les siècles. Et les Pères de l'Église ont dû faire la distinction de certains termes bibliques. L'esprit, par exemple, peut être le vent, l'esprit humain, le Saint-Esprit. La chair, “que toute chair fasse silence”, peut être charnelle. Mais elle peut aussi désigner la matière vivante, ou encore tous les êtres vivants...


Quantité de mots varient ainsi, et il est indispensable de savoir lire exactement leur signification.



I - L'ANTHROPOLOGIE CHRÉTIENNE


Les difficultés à surmonter


Quand nous abordons le problème de l'anthropologie orthodoxe, quand nous commençons à distinguer le noùs de l'âme, nous entrons dans un sujet tout à fait inattendu et nouveau pour l'Occident. Nous constatons une difficulté. Celle-ci provient des termes naturel et surnaturel, très répandus en Occident, surtout dans le monde catholique romain. Et le mot surnaturel couvre le noùs sans le couvrir exactement !


Cette difficulté existe dans l'anthropologie chrétienne. Elle paraîtra surtout lorsque nous insisterons sur la partie noétique de l'être humain selon les Pères de l'Église.


Dans les cercles philosophiques ou spiritualistes, les milieux religieux, la question de l'anthropologie ne se pose pas. Mais pour la majorité de nos contemporains, elle se pose d'une manière très aigüe.


Dès qu'on commence à parler du noùs, de cette qualité spirituelle immuable dans l'être humain, on est agressé et considéré comme néoplatonicien. Dans le dialogue marxiste-chrétien, beaucoup de problèmes sont abordés sauf celui de l'anthropologie chrétienne et encore moins celui de l'anthropologie orthodoxe qui approfondit davantage le problème.


Le marxisme intellectuel considère l'anthropologie chrétienne comme un sujet terrible, vulgaire, néoplatonicien, avec lequel il ne se sent pas du tout concerné.


Dans un cercle marxiste russe, voici une dizaine d'années, nous avons dit que le chrétien accorde la même valeur à l'esprit et à la matière. Le chrétien n'est pas, en effet, un spiritualiste niant la valeur de la matière et du corps, il croit au Verbe fait chair, et en même temps reconnaît la valeur de l'esprit.


Ce point de vue confondit les auditeurs marxistes. Se disant matérialistes et croyant que les chrétiens sont spiritualistes, en entendant nos propos ils conclurent que les chrétiens ne sont ni spiritualistes, ni matérialistes, mais qu'ils appartiennent à la métaphysique éclectique.


L'éclectisme est un terme aimé des disciples de Karl Marx qui qualifient ainsi tous ceux qui ne se soumettent pas à un monisme total. Car pour eux, tout est esprit, ou bien tout est matière, et si l'on est matérialiste on lutte contre le spiritualisme.


D'autres reconnaissent que l'esprit a sa pesanteur réelle comme la matière. Mais, nés dans l'idéalisme allemand de l'époque, ils sont dans cette lutte où l'esprit est d'un côté, la matière de l'autre. Pour eux la dualité est impossible et ils parlent également d'éclectisme dès que l'on essaie d'assembler deux doctrines totalement opposées.


Dans les grandes couches de l'humanité, nous vivons donc un monisme agressif, actuellement matérialiste, qui n'accepte pas la possibilité d'une coexistence de différents plans, de différentes réalités. Il y a ou... ou. Et l'homme moderne accepte plus facilement l'hindouisme qui est un monisme spirituel plutôt qu'un monde non-moniste où des plans différents peuvent se co-pénétrer.


L'humanisme moderne a une thèse très intéressante mais équivoque : il n'y a pas d'homme invariable. L'homme est défini par l'économie, le milieu social ou la culture. L'homme du XXe siècle n'est pas celui du XIXe. Tout est variable dans l'être humain.


Cette théorie a débuté au XIXe siècle avec Taine, Nietzsche et Freud. Dans ce contexte psychanalytique ou autre, chaque définition de l'homme en soi paraît comme une abstraction absurde, dogmatique, ou comme la philosophie antique, périmée, qui croyait à une vision ontologique.


Dans cette nouvelle perspective, l'homme est quelque chose de défini et de changeant. Sa psychologie se définit par les conditionnements extérieurs : économiques, sociaux, spirituels, culturels, familiaux. Ainsi disparaît la vision de ce qui, dans l'homme, est stable et invariable. Le noùs n'a pas de place dans cette conception.


Cette acquisition du monde moderne, cette façon de voir l'instabilité, la variabilité et les conditionnements extérieurs très forts, est une grande conquête qu'il ne faut pas rejeter. On perçoit en effet tous les mouvements, on cherche d'où viennent les réactions, notamment dans le domaine psychologique qui est très conditionné par le monde extérieur.


Ce relativisme, cet élément évolutionniste est une conquête utile. Mais on oublie que malgré cette instabilité, cette variabilité, ce conditionnement humain où l'homme disparaît pour devenir l'objet de l'influence du milieu, il y a aussi un aspect de stabilité.


On confond, enfin, malheureusement et souvent le christianisme, notre vision qui vient de la Révélation, avec la philosophie antique. Celle-ci avait une très grande valeur, mais ne voyait pas les éléments modernes. Et les philosophies des derniers siècles, s'opposant à la vision antique qui était ontologique et non existentielle, ont projeté sur la Révélation des structures antiques.


Il était difficile, même pour l'Église primitive, de lutter pour l'idée d'un monde créé. Une difficulté semblable apparaît dans l'anthropologie.


Face à l'humanité, nous sommes ainsi  devant plusieurs difficultés. D'une part, le monde est vu de façon moniste, monisme matérialiste le plus souvent, ou même monisme vitaliste ou spiritualiste. Une autre difficulté, d'autre part, réside, à travers la connaissance nécessaire des milieux qui influent sur l'homme, à la présenter ainsi dans sa variabilité et à perdre la vision de ce qui est stable en cet homme. On note, à ce propos, une confusion fréquente entre l'homme bourgeois du XIXe siècle et l'homme stoïcien, présenté comme éternel. On confond enfin la pensée chrétienne avec les différentes écoles philosophiques élaborées à travers les âges.


Aussi, pour l'instant, ne soyons ni homme antique, ni homme moderne, mais faisons confiance à la Révélation et à ses directives sur l'anthropologie humaine, c'est-à-dire sur l'homme.


Approche par la révélation


L'approche de l'homme au travers de la Révélation nécessite le rappel de plusieurs triades qui donnent aux choses leur juste valeur.


Créé, incréé, et rapport entre créé et incréé :


Le créé et l'incréé sont interdépendants, et si on ne connaît pas l'action de l'incréé dans le créé, on ne peut parler ni du monde, ni de l'homme, ni des anges. On ne peut avoir une vision réelle de l'homme si on oublie l'un des deux éléments.


Car il y a Dieu, l'homme, et le rapport de Dieu avec l'homme. Sans cette vision triadique, notre conception de l'homme et du monde est caduque.


Monde noétique, monde matériel, homme :


Le monde matériel est ce que la Bible appelle Terre : c'est le cosmos visible, ce monde de milliards d'années que notre époque a considérablement élargi. D'un petit monde, en effet, il est devenu un monde immense avec des chiffres, des espaces immenses. Le temps s'est élargi dans le passé, le présent et l'avenir, et les distances aussi jusqu'à des nombres prodigieux. Ce monde matériel n'est qu'un aspect de la Création, car il y a beaucoup de choses qui ne sont pas visibles.


Le monde visible, ce cosmos avec tous ses systèmes solaires et autres, ses innombrables années, ses distances infinies, son immensité, nous fait tourner la tête. Nous nous sentons plus que petits. Notre terre paraît inexistante et notre existence ridicule.


Selon l'Évangile et les Pères de l'Église pourtant, ce monde immense ne représente qu'un sur neuf, ou qu'un sur neuf cent quatre-vingt-dix-neuf, en face du monde noétique et spirituel. Tel est le sens de la parabole de la brebis perdue et des quatre-vingt-dix-neuf brebis : pour Dieu, ce cosmos visible est une toute petite chose, une brebis perdue, en face d'un monde qui le dépasse nettement et qui est le monde noétique.


Ce monde noétique, angélique ou spirituel, n'est pas du tout de notre catégorie, car il connaît un temps qui n'est pas notre temps, il connaît un espace qui n'est pas notre espace.


Ce temps-espace nous apparaît comme une sorte d'éternité, comme une absence du temps et de l'espace. En réalité, il est une création et, de ce fait, dans un certain espace-temps. Mais si on compare notre temps-espace cosmique avec ce temps-espace angélique, on peut dire, sans faire d'erreur, que les hommes sont dans le temps et l'espace et que les anges sont en dehors du temps et de l'espace.


Cet en-dehors n'est cependant pas absolu. Il est seulement un temps-éternité vis-à-vis du temps-horloge, ou en face du temps psychique qui a une certaine durée. D'où les expressions : éternel, éon...


L'homme, troisième terme de la triade, présente quelque chose de tout à fait à part en face de ces deux mondes. Du point de vue cosmique, il est tellement petit qu'il est insignifiant. Il disparaît dans l'humanité qui, elle-même, n'est qu'une petite pointe perdue dans l'infini. Mais l'homme n'est pas que ce petit élément du cosmos, car il appartient simultanément au monde noétique, spirituel. Et cette appartenance fait dire à saint Irénée : “L'homme ne sera jamais tranquille, sauf en Dieu”.

 

Cette deuxième triade ne doit pas nous faire oublier la précédente, car le monde noétique aussi est créé, et tout cela est en contact avec l'incréé. Tel est le paradoxe de l'être humain. Il n'est ni un ange dans un corps, ni un corps qui a produit un esprit ? Il est leur rencontre, leur copénétration, leur coexistence.


Voilà pourquoi nous sommes tellement agités, insatisfaits de notre vie. Nous cherchons à exploiter la lune, à aller dans les espaces, ou à faire des révolutions.


Un animal est un animal, mais l'homme n'est jamais homme, parce qu'il est cosmos, ange et Dieu. Toujours insatisfait, il cherche à pénétrer dynamiquement, à briser ou à conquérir car il est au coeur de cette rencontre perpétuelle. Il est le dialogue permanent entre l'esprit et la matière, entre la Création et la créature, entre les mondes spirituel et matériel. Par sa nature, et c'est le regard de l'anthropologie chrétienne, il n'est ni ange déchu dans la matière, ni matière enrichie d'un esprit, il est la rencontre des deux. Avec l'esprit il est un ange, sans l'esprit il est une bête intelligente.



Corps, âme, esprit


Cette triade est souvent oubliée dans beaucoup d'enseignements chrétiens actuels. L'être humain a corps, âme et esprit. Il y a distinction nette entre l'esprit et l'âme, et le psychosomatique est un monde réel. Mais il n'y a pas que ces dualités, il y a la triade : corps, âme, esprit. Et le grand et perpétuel problème est de ne pas confondre le monde psychique avec le monde spirituel.


Le corps, lui, est rythmé, autonome, et il exprime mieux la pensée divine que l'âme. L'âme, elle, est riche en émotions, pensées et actions dynamiques. Sa caractéristique essentielle est la transformation, la variation perpétuelle.


C'est sans doute ce qui fait dire à l'humanisme moderne, pas seulement au marxisme, que l'homme est variable, que celui du XXe siècle n'est pas le même que celui du IIIe. On exagère en fait, car il y a une certaine monotonie de l'homme.


Prenons par exemple le problème de l'amour-sexualité. On peut dire, même avec nuance, que 2000 ans avant Jésus-Christ on retrouve les mêmes psychologies. Ainsi, à cette époque, en Égypte, on a trouvé l'inscription suivante : “Cette nouvelle génération n'est pas comme la nôtre, où va cette jeunesse absolument amorale, les parents ne peuvent plus rien faire avec [...] ; où va l'humanité ? elle a perdu le sens du devoir [...] ”. On entend les mêmes discours aujourd'hui. Quand on est jeune on se révolte, et à 40 ans, fatigué, on critique sa jeunesse.


Il y a néanmoins cette variation, cette instabilité que nous avons évoquée dans la mentalité de notre âme. Un exemple : ce père était pour la liberté donnée aux enfants. C'était très bien. Mais un jour sa fille a quitté son mari pour partir avec un guitariste italien. Et mon ami a alors dit : “Je mettrai les enfants chez les jésuites”. Et moi de lui répondre : “Mais tu as prêché pendant dix ans l'indépendance des enfants...”.

 

Telles sont les fluctuations de l'âme, qui la rendent très différente de ce qu'est l'esprit, que nous allons aborder dans la triade suivante.



L'esprit : noùs - logos - pneuma


L'esprit n'est ni l'âme, ni le corps. Les Pères de l'Église nous enseignent qu'il est triadique. Nous ne parlerons pas ici de l'esprit en tant qu'il est troisième terme de la triade précédente dans laquelle l'esprit est supérieur à l'âme et le corps inférieur à l'âme. Nous le considérerons sous l'angle de la terminologie patristique, en tant qu'il est composé :


            - du noùs ;

            - du logos intérieur (intérieur car il ne concerne pas les paroles) ;

            - du pneuma, ou esprit intérieur.


Et ces trois éléments en font un. Ces trois mots grecs ont été traduits en latin par mens (noùs), par ratio (logos) jusqu'au VIIIe siècle. C'est pourquoi nous disons dans la liturgie : cette offrande pure, cette offrande raisonnable”, raisonnable signifiant autre chose que notre mot actuel raison. Le Moyen Àge traduisit logos par intellectus. Ce qui aurait pu donner : “Cette offrande intellectuelle”. Mais le mot intellectuel signifie aujourd'hui autre chose. Et par spiritus (pneuma) enfin !


Il n'y a aucun mot correspondant en français à ces trois termes. Différente de la civilisation latine du Moyen Àge, la civilisation française a, par cette absence, créé une grande rupture et un appauvrissement de l'anthropologie spirituelle. Le français est, en effet, apparu avec Calvin, Descartes, Rabelais. Ces trois personnages ignoraient les mots de la triade : corps - âme - esprit dans l'homme. Et plus encore ceux de la triade noùs - logos - pneuma dans l'esprit.


Ils étaient dualistes. Pour Descartes, il n'y avait aucun rapport entre l'esprit et le corps. La souffrance des animaux n'était qu'une réaction mécanique. Calvin aussi était dualiste dans son interprétation de l'Évangile. Avec le français, nous sommes donc entrés dans une vision duelle de l'homme : esprit-corps, ou esprit-âme, ou intelligence-corps, et la vision triadique a alors disparu.


Thomas d'Aquin avait déjà annoncé cette disparition. Il introduisait, en effet, la notion de surnaturel, d'âme supérieure, et la triade : noùs - logos - pneuma, commençait dès lors à s'estomper.


La raison, l'intellect, l'élément intellectuel s'est alors installé dans la culture française et il a pris la place de l'esprit triadique. On a ainsi commencé à confondre l'élément supérieur de l'être humain avec l'intelligence.


Dans la culture russe, par contre, ces trois mots ont eu une autre carrière, et cela nous montre comment les civilisations se plient et dévient lorsqu'on ne prend pas la lumineuse révélation de l'Église. Les Russes avaient trois mots correspondant aux : noùs - logos - pneuma. Ces mots sont restés dans la littérature mystique des ascètes de la Volga, aux XIVe et XVe siècles, et dans les textes liturgiques. Dans la culture russe, ils ont disparu, et il n'est resté que le mot esprit.


La triade, cependant, réapparut avec la prière de Jésus à la fin du XVIIIe siècle, venant du mont Athos à travers la Roumanie. Dans des livres comme celui du pèlerin russe, on lit le mot douh qui correspond au noùs et que l'on traduit en français par prière spirituelle.


Cependant la culture russe, tout en étant très spirituelle, privilégie l'aspect pneuma, c'est-à-dire le côté pneumatique, inspiré, charismatique. Les Français, pour leur part, ont confondu le noùs avec l'intellect, l'intellectus au sens où on l'employait au Moyen Àge, avec l'intellect-raison qui a un sens psychique rationnel. Les Russes ont confondu le pneuma avec l'esprit, l'ambiance, le climat, le bon esprit, qui sont encore des catégories psychologiques.


Chez d'autres peuples, il y a souvent ce même manque de clarté, de distinction, entre le plan spirituel et le plan psychique. Les uns privilégient l'aspect intellectuel, les autres le côté émotionnel. Mais, dans les deux cas, on ne franchit pas la barrière du monde psychique et on est loin du vrai souffle de l'amour divin.


La triade de l'esprit : noùs - logos - pneuma, est donc bien distincte du monde de l'âme et du corps, de la dimension psychosomatique de l'homme. Dépister, dans l'être humain, cette partie supérieure, différente, qui nous influence mais ne se confond pas avec les autres plans, tel est l'humble sujet de notre cours.



II - EXPÉRIMENTATION DU “NOÙS”


Il y a une tragédie de la Bible en général, et du Nouveau Testament en particulier. En Angleterre, en Allemagne, en Espagne, et dans d'autres pays, les traductions sont correctes. En France, elles sont actuellement loin des textes authentiques.


Dans les textes romains, par exemple la Bible de Crampon, la tradition était respectée. Mais son texte a été depuis tellement repris et corrigé qu'il n'a plus rien à voir avec le texte ancien.


Les textes de la Société biblique de Jérusalem, très populaires, ont été bien édités, mais quantité d'entre eux ne correspondent plus à rien. Prenons quelques exemples :


La chrétienté occidentale d'aujourd'hui méprise le mot nation, qu'elle associe souvent avec le mot païen. Ainsi dans l'Évangile de Matthieu, la phrase : “Allez enseigner les hommes de toutes les nations”, est devenue : “Allez former parmi  toutes les nations des disciples”. La parole du Christ : “Celui qui croit en moi ne meurt pas, mais a déjà la vie”, a été transformée ainsi : “Celui qui croit en moi reprendra la vie”. Les traductions anglaise et allemande du Notre Père sont correctes. Il y a des nuances telles que offenses au lieu de dettes que l'on peut accepter. Mais en France, on s'est vraiment trop éloigné du texte authentique.


Dans les épîtres de saint Paul (I Cor. 2, 15), on a remplacé le terme psychique par naturel, et il est dit : “L'homme naturel n'est pas l'homme spirituel”.


Un dernier exemple concernant le mot miracle. Quand le Christ fait un miracle, Il ne fait pas seulement quelque chose d'exceptionnel, mais un acte qui a une signification plus pro­fonde. À cause des progrès de la science qui fait des miracles Teilhard de Chardin disait : “On doit croire malgré les miracles”. Et, dans la Nouvelle Bible, on a remplacé miracle par signe !.


Le problème de la langue française est donc très angoissant. Les traductions sont sans doute difficiles, mais si l'on ne tend pas vers l'exactitude on prend le chemin de la nonchalance et on subi les modes qui changent. L'Église n'est ni dans le passé, ni dans le présent, ni dans l'avenir. Elle se met en retard quand elle veut être à la page.


Le christianisme tombe dans le cosmopolitisme ou dans l'individualisme. Après la Révolution française, il fallait libérer les peuples. Aujourd'hui, on supprime les nations, on recherche l'ambiance. L'Église change ainsi tous les vingt ans, et elle transforme l'Écriture Sainte pour plaire au courant. Ce qui est un crime !


Pour l'Écriture Sainte, l'exactitude des mot est essentielle. Il faut pénétrer leur sens et l'authenticité de ce qu'ils disent. Les mauvaises traductions n'aident pas à la compréhension. Mais l'Évangile a néanmoins une telle puissance de force que, même incorrectement traduit, il agit.



Les trois volontés de l'homme


Les triades que nous avons évoquées au chapitre précédent sont initiales et du domaine de la nature. Il faut maintenant tenir compte d'une nouvelle triade, indispensable, non pas pour définir l'homme en soi selon la nature, mais pour comprendre l'homme concret, dans l'état de post-péché. Le péché est en effet un élément nouveau dans le monde. Il a bouleversé les rapports entre les différents termes des triades. L'être humain a toujours présentes en lui trois volontés :


- divine ;

- humaine ;

- diabolique.


Trois choix, trois tensions qui font qu'il peut être dans trois états : Ciel - Terre - Enfer. Parmi ces trois volontés, la volonté humaine est celle qui choisit, ou bien de s'harmoniser avec la volonté divine : c'est la synergie, ou bien être captée par la volonté diabolique qui, notons-le, n'a rien à voir avec la chair.


On doit distinguer ces trois volontés. Antoine le Grand dit que cette distinction est une des plus grandes vertus, elle est le discernement. Prenons quelques exemples.


Un acte de charité : je peux être bon par nature, ou neutre. Un acte peut être bon ou mauvais par ses résultats. La volonté peut venir du diable : prétexte à se faire valoir, ou bien de l'Esprit-Saint.


Certains proclament une seule volonté honnête : Je suis franc. D'autres, comme Julien Green, font s'affronter deux volontés : divine et sexuelle. Ces deux attitudes sont des approximations, elles ne sont pas la Vérité. Car il y a trois volontés en l'homme : céleste, naturelle, diabolique.


Si l'on en oublie une, on se perd, on est dualiste, donc dynamique, mais on n'est pas dans le vrai. On se fatigue entre ciel et terre, ou entre le divin et l'infernal dans lequel d'ailleurs on introduit en général le naturel, tandis que l'on qualifie de célestes des émotions humaines. La fatigue vient du fait qu'on a oublié l'humain. On s'installe dans un certain équilibre, mais on perd le sens des vérités jusqu'à ce qu'advienne une crise spirituelle.



Le noùs expérimenté


Saint Paul, dans la première épître au Thessaloniciens, distingue l'homme psychique et l'homme spirituel et il ajoute: “Bénissez Dieu dans votre esprit - âme - corps”. Dans l'épître aux Hébreux il dit : “La parole de Dieu, puissance, partage le pneuma et le psychique”. Il a projeté auparavant la lumière sur le mot repos que nous employons dans la prière des défunts. Le repos n'est pas la somnolence ou la quiétude, il est  « non-agitation « . Ce texte marque net­tement la séparation entre l'esprit et l'âme de l'être humain.

Athénagoras d'Athènes, contemporain de Justin l'Apologète, montre que dans la Tri­nité et dans l'anthropologie, le noùs contient éternellement, par son existence même, le Logos.


De son côte, saint Irénée distingue clairement physis, psychique et noùs. Le terme physis est employé, chez les Pères, de différentes manières. La physis de Dieu est sa nature. Saint Irénée donne à physis le sens de corporel, ou soma, corps, chair.


Au Moyen Âge, sous l'influence de la théologie, on distingue deux amours : l'amour physique qui cherche l'union des deux natures, et l'amour extatique qui s'oublie, se donne (ce n'est pas l'extase). Chercher l'union avec Dieu, c'est l'amour physique.


Déjà, dans la genèse de la Création, les Pères distinguaient deux actes divins : le corps tiré de la terre, physis, et l'âme qui reçoit de Dieu son esprit. L'âme et le corps agissent en relation.

L'âme, l'intermédiaire psychique, est un balancement entre le corps et l'esprit. Son rôle est de se spiritualiser ou de s'incliner vers le corps. L'âme donne aux éléments, au corps tiré de la terre, à la nature-physis, leur déséquilibre et leur ampleur.


L'âme reçoit l'esprit. Elle le contient mais l'esprit n'est pas mélangé à l'âme. L'épée, la parole de Dieu, pénètre jusqu'à la jointure de l'âme et de l'esprit. Il n'y a pas de copénétration naturelle.


Pour l'esprit, saint Irénée emploie le plus souvent les trois mots, noùs, logos, pneuma, le premier étant souvent remplacé par l'un des deux autres. Saint Irénée introduit un élément nouveau : l'esprit n'est pas formé. Il sauve, forme organise. Tandis que le corps, lui, est formé ; il appartient au monde objectif.


On a tendance à confondre l'esprit de l'homme avec l'Esprit de Dieu. Dans l'expérience de l'extase intérieure, non seulement il y a union de l'esprit avec Dieu, mais l'âme et le corps disparaissent.


À l'appui de ces trois termes, saint Irénée définit les notions : image et ressemblance. L'image de Dieu, c'est l'univers entier. Le corps comme tout l'univers, est à l'image de Dieu. Ceci est un don. La ressemblance est une acquisition, un progrès qui se réalise par la volonté libre de l'homme. Un saint est à la ressemblance.


Clément d'Alexandrie, au IIIe siècle, distingue quant à lui trois réactions dans l'homme :


- le corps qui est sensation, sentiment ;

- l'âme qui est désir ;

- l'esprit qui est le noùs.


Un des caractères de l'âme est le désir. Quand l'homme vit dans le monde psychique, ce n'est pas le corps qui désire car il sent. Ce qui désire n'est pas le corps, mais l'âme sera toujours désireuse, inquiète ou non. Et ce désir, par nature, va vers la chair; mais il doit aller aussi vers l'esprit, sinon il y aura insatisfaction à un moment donné.


Une erreur du point de vue de la Tradition est commise par Origène. Il ne considère pas que, par nature, l'homme a trois éléments. Pour lui, l'âme est la chute du noùs, elle est le noùs refroidi de son ardeur d'amour de Dieu (cf. Livre des Principes.) Ceci est une glissade vers une fausse conception de l'anthropologie chrétienne.


Pour d'autres que lui, c'est le corps qui est la chute de l'esprit. Ces erreurs nous amènent à faire une remarque, car il y a un piège et il faut être vigilant. En effet, la triade hiérarchisée qui forme l'homme en soi peut se transformer. Être spirituel ne veut pas dire mépriser le monde psychique, ce qui est facile. Et dans l'histoire humaine il est arrivé que l'homme en quête de vie spirituelle, sans mépriser le corps, l'atrophie, et qu'en haine du psychisme il commence à mépriser la culture Ainsi, le liturgiste peut mépriser la musique profane. Celui qui contemple les icônes peut haïr la peinture profane.


Au XIVe siècle, un anachorète qui s'était dépouillé de tout, vivait, ayant à jamais fermé sa fenêtre au soleil. Un fou en Christ est alors venu vers lui, a percé la fenêtre, a introduit des fleurs, des icônes et lui a dit : “Toi, sors et loue Dieu pour la beauté et l'émotion psychique devant la nature”.


On ne doit donc pas rejeter le monde psychique qui crée la littérature profane et façonne l'être humain. Dans le Christ, il y avait d'ailleurs un équilibre splendide : esprit, âme, corps. Le Christ pleure sur Jérusalem, ou sur Lazare, son ami mort, alors qu'Il sait qu'Il va le ressusciter. Il dit aussi : “Mon âme est triste jusqu'à la mort”. Il dit mon âme, car l'esprit est toujours spectateur mais pas indifférent. Mais Il voit que son âme souffre, et il n'a pas tué la tristesse, catégorie de l'âme, au nom de l'esprit. Didyme l'Aveugle distingue en l'homme les trois éléments : physis, psychique, noùs, comme Grégoire de Nazianze et Grégoire de Nysse qui discernent le corps, l'âme et le noùs, et placent le noùs comme médiateur entre Dieu et la chair d'une part, insistant d'autre part sur le fait que le noùs humain a une essence telle qu'il est capable de connaître Dieu, alors que le corps et l'âme ne le peuvent pas. Le noùs est, en effet, à la ressemblance de Dieu, et médiateur entre Dieu et le monde. Il est le lieu de com­munication avec Dieu; c'est par la volonté que l'on progresse


Pour Maxime le Confesseur : “Le noùs est une essence sans forme, précédant tous les mouvements et informant”. Voici un exemple éclairant cette parole : au IVe siècle apparut l'hérésie appelée appolinarisme. Appolinaire était ami d'Athanase et ennemi d'Arius. Il conçut que le Christ avait un corps et une âme, mais que son esprit était remplacé par le Logos divin. Ceux qui se sont opposés à cette hérésie dirent qu'il s'agissait d'un Dieu bête et non du Dieu homme.


Les Pères de l'Église ont produit quantité de textes sur ce sujet que nous allons maintenant aborder, ce qui va nous permettre d'apporter quelques précisions sur les trois termes de la triade : corps - âme - esprit.



Le Christ, “corps-âme-esprit”


Le Christ est pleinement Dieu et pleinement homme. Il a deux natures en lui : une nature divine et une nature humaine dans laquelle il est : corps-âme-esprit. Mais il n'a pas deux personnes en lui. Sa personne, son hypostase, est divine.


Il faut donc distinguer l'esprit, le noùs, de l'hypostase. L'esprit, non formé mais informant, est presque un acte pur, et pourtant ce n'est pal l'hypostase.


Dans cette lumière du Christ, qu'est-ce que le CORPS de l'homme ? Il est individuel, très formellement. Mains, bouche... nous appartiennent en propre, mais, par sa configuration, chaque corps est quand même le corps humain. C'est la combinaison qui est individuelle. Mais dans chaque détail : cheveux blonds, noirs... nous entrons dans une catégorie avec d'au­tres.


L'ÂME est également une combinaison mais moins formelle que le corps, qui est stable, qui a un rythme et une certaine composition. L'âme par nature, est une combinaison de différents éléments : tempérament et autres. Mais on ne peut la comparer avec le corps, car elle est, ô combien, mouvante. Cependant, chaque composante de l'âme appartient aussi à d'autres, avec d'autres combinaisons : types lents...


L'ESPRIT, lui, est nature, objectivité. Il n'est pas une combinaison mais mon esprit, mon noùs, logos, pneuma. Quand l'homme s'intériorise, il arrive à vivre dans l'esprit. Deux êtres peuvent ne jamais se rencontrer spirituellement, mais ils se rencontrent s'ils sont dans un même plan, quand ils parlent un même langage.


Cependant, l'homme spirituel n'est pas toujours un saint. Et deux êtres spirituels, par exemple un prêtre orthodoxe et un hindou peuvent se comprendre, même si la Révélation est quelque chose de différent pour chacun.

Il n'y a pas des esprits, il y a l'esprit. Les dons ne sont pas l'esprit. On ne peut arriver à l'unité de l'humanité si on reste dans le plan physique ou psychique. Il faut entrer dans le plan spirituel car il y a des consciences différentes, mais l'esprit est le même.


Sur cette question, les conceptions hindoues ou la philosophie grecque ont certaines terminologies troublantes. Aristote, par exemple, parlant de la bête raisonnable, confond le noùs, l'esprit avec la raison. Ce n'est pas complètement faux mais c'est une approximation. Car une des qualités du noùs, c'est son contact possible avec Dieu ce qui n'est pas du tout le domaine de notre raison. En effet, le noùs est ouvert à la connaissance divine.


Ces quelques précisions rendent compte de l'erreur d'Appolinaire. Si le Christ est Dieu et pas homme complet, l'homme ne peut être déifié, il ne peut être sauvé. Le Christ doit donc être homme complet. Pour les Pères, les bêtes aussi sont raisonnables, elles ont une vie psychique et une âme très forte, mais Appolinaire, répétons-le supprime toute possibilité de déification.



Vers le “noùs” en nous


La quête du noùs et son développement en nous doivent permettre qu'il devienne roi de notre être à la place du psychique ou du physique Comment le découvrir ? Pour y répondre, citons trois Pères de l'Église.


Dans ses deux livres : “Sur le Saint-Esprit” et “Sur la Trinité”, Didyme l'Aveugle distingue avec clarté les trois éléments de l'être humain : noùs-psyché-physis. Pour lui, le noùs de l'homme n'a pas de temps. Contrairement à notre corps et à notre âme qui sont nés de nos parents l'esprit ne naît pas avec l'homme, mais il n'est pas immortel dans le sens divin. Il est immortel par participation à la Divinité. Il n'est pas préexistant mais en dehors du temps.


Origène était dans l'erreur quand il exprimait que l'âme, l'esprit de l'homme, préexistaient. L'esprit appartient en fait à un temps supérieur comme les anges qui n'ont pas notre temps.


Ceci est compréhensible. Ainsi notre mémoire, notre pensée, ne sont pas dans le temps, bien que se déroulant dans le temps. Par la pensée on peut saisir tout à coup un événement passé depuis   2.000 ans. On peut revivre à l'instant même un événement antérieur, un épisode de l'enfance par exemple, ou un souvenir agréable ou désagréable. L'événement n'est pas alors dans le passé, mais dans le présent.


De même, l'esprit n'est soumis ni au temps ni à l'espace. Et cela va encore plus loin : un phénomène vécu par un ancêtre peut en effet surgir dans notre mémoire comme si nous l'avions vécu nous-mêmes.


Pendant la liturgie, le mémorial du Sacrifice n'est pas un souvenir d'il y a 2 000 ans, mais un: saisissement dans le présent, une actualisation de ce qui était dans le temps, mais qui dépasse le temps liturgiquement, comme tout mystère.


À Noël, nous revivons liturgiquement l'attente : “Que la Vierge engendre, ouvre une grotte à l'Inaccessible”. Et nous disons : “Christ est né, en Vérité Il est né”. C'est le dépassement du temps. On revit l'événement de manière symbolique et spirituelle.


Le noùs, par sa nature, est donc en dehors du temps-horloge. C'est pourquoi l'apôtre Paul dit que nous avons tous péché en Adam. Dans notre corps et dans notre âme nous sommes les héritiers d'Adam. Dans notre noùs nous sommes présents, en lui. Adam est l'humanité tout entière.


Grégoire de Nysse insiste sur le noùs humain en Christ et sur le noùs dans l'homme. Pour lui le noùs jouit d'une volonté libre, et il y insiste particulièrement.


Le noùs humain est défini en huit point par Grégoire Palamas.


Le  « noùs «  vient de Dieu


Précisons préalablement que les anges, les esprits, le noùs, sont une création comme le corps et l'âme. Ils entrent dans l'univers créé, mais 1a forme de leur création est différente de celle de l'âme et du corps.


En effet, la Parole de Dieu crée le monde visible : “Le monde visible, la matière et la psyché liée à la matière, sont créés par la Parole de Dieu”. Dans son Évangile, l'apôtre Jean dit :·“Au commencement était la Parole... Toutes choses ont été faites par elle, et rien de ce qui a été fait n'a été fait sans elle”.


Tandis que le silence, le Verbe intérieur de Dieu, crée le monde invisible, le monde angélique et l'esprit. Il y a donc deux actions de création de Dieu :


- un certain extatisme, une extériorisation; c'est la création du monde visible ;

- mais le monde invisible est créé dans le silence ; le noùs est créé dans la contemplation.


Ceci est un grand mystère. Disons que la Parole crée la matière comme manifestation-symbole, comme expression de Dieu. De même font les mots, les lettres, quand nous expri­mons notre pensée. Par eux nous nous extériorisons nous donnons quelque chose sans pouvoir revenir dessus, en nous limitant. Mais pour retrouver le noùs, une des conditions essentielles est d'être dans le silence : silence de désirs, de peines, de sentiments, et ce n'est pas l'apathie qui a un autre sens.


C'est dans ce silence et par le silence divin que le noùs apparaît, car le silence divin est aussi créateur que la parole divine. Pour que les anges servent Dieu, pour que leur création soit ouverte à Dieu et vive par lui, elle doit se faire dans le silence. Dieu parle et se tait. Il se manifeste et se cache; il se manifeste et se cache encore. La création intérieure est comme une pause dans la grande musique. Celle-ci doit avoir des pauses de sonorité pour que la symphonie soit. Les anges et les esprits sont ces pauses. Ils sont créés par le silence. Dieu parle en eux.


Ainsi, la Création parle de Dieu. Mais le noùs, c'est Dieu qui parle en lui. Sa racine est en Dieu silencieux. Toutes les extériorisation empêchent de retrouver le divin. Il faut donc s'intérioriser pour trouver le noùs.


Le noùs vient de Dieu, non pas comme une émanation, une énergie, une étincelle tombée de lui, mais dans le silence où Dieu se retire pour avoir quelque chose de semblable à lui.


Le noùs subsiste toujours et en lui-même


Cette définition n'est pas absolue. Si nous prenons toute la Création, rien ne subsiste en soi, il y a toujours une relation de dépendance avec autre chose.


Mais le noùs n'est pas conditionné par l'extérieur. Il existe en lui-même. L'âme peut être gaie ou triste, elle appartient au monde psycho-physique.


Mais le noùs est en lui-même, il se nourrit de Dieu. Il peut être étouffé ou diminué par l'homme charnel, mais il n'est pas défini : il est en soi.



Le noùs humain possède la faculté de se dépasser


Ceci explique pourquoi l'homme est inquiet et veut toujours se dépasser. Nous voulons toujours être plus que nous sommes. L'erreur est de croire que nous le pouvons sur le plan physique. Sans doute, pouvons-nous organiser, combiner notre vie corporelle et psychique, mais nous ne pouvons pas la dépasser, car le corps est lié avec la loi de la nature et n'a pas la fonction de dépassement Celle-ci appartient au noùs, parce qu'il a pour caractère d'aller vers Dieu. Le noùs peut entraîner le corps : lévitation, marcher sur les eaux, ou donner des puissances à l'âme, puisqu'il va vers Dieu. Mais la nature, comme la technique (aviation, etc.), ne se dépasse pas. Elle se combine. L'organisation devient plus rationnelle, la rapidité s'accroît, mais il ne s'agit pas d'un dépassement.



Le noùs s'élève vers l'intelligence divine


Quand l'homme vit uniquement dans 1e monde psychique et non spirituel, il peut avoir des élans de l'âme : piété, émotion... mais il ne peut s'élever à l'intelligence de Dieu, à la connaissance divine. L'âme peut croire et doit croire, le noùs, lui, ne croit plus. L'âme peut donner l'élan de 1a prière, mais les élans sont fragiles et tout d'un coup les êtres tombent. Elle peut avoir un certaine élévation, être créatrice mais, par nature elle ne peut s'élever car elle est changeante. C'est pourquoi toutes les fausses mystiques sont toujours psychiques. Elles ne sont pas stables.


Pour combattre cette instabilité, il faut lutter toute sa vie et se rappeler ce proverbe du mon Athos : “Si tu pleures, si tu ris, c'est le petit démon qui danse devant toi”. Le démon, c'est l'élément changeant.


En revanche, l'âme peut s'élever si elle est entraînée par le noùs. Elle peut alors participer à la connaissance, mais c'est le noùs qui s'élève à l'intelligence divine, au-delà du rationnel, de la déduction, du sentiment, de la logique.



Le noùs reçoit la grâce divine avant l'âme et le corps


C'est par le noùs, comme par une porte ou une fenêtre, que la grâce divine pénètre dans l'âme et le corps. Le noùs reçoit la Lumière incréée. En même temps, il est purifié. Il n'est pas la lumière, il reçoit la lumière divine.



Le noùs devient lumière


Le noùs s'unit à la lumière divine. Il est complètement saisi par elle, dans une union telle que, expérimentalement, on a l'impression qu'il n'y a pas de différence entre lui et Dieu. L'apôtre Paul dit que cette union est plus forte que celle du fer avec le feu. C'est le corps déifié, Dieu en tout



Le noùs est naturellement tourné vers Dieu. Quand il s'ouvre, il devient tellement consentant que, tout en étant différent par origine, il accède à ce moment de total silence où il n'y a que l'Inexprimable : Dieu !


Après, seulement, reprend le dialogue


Après cela commence la sanctification de l'âme et du corps. L'homme est placé devant Dieu. C'est le dialogue de deux amours. Le noùs reçoit donc la grâce avant l'âme et le corps. C'est pourquoi la Grâce, l'énergie divine, viennent toujours par lui.


S'il n'est pas éveillé, la Grâce ne peut coordonner, éclairer l'être humain. La Grâce se répand dans notre âme et dans notre corps, proportionnellement à l'éveil du noùs.


Monseigneur Jean